Manchester
Referee: H. Webb
L'Equipe qui joue le meilleur football aujourd'hui en Angleterre, c'est Tottenham.» C'est a sir Alex Ferguson qu'on doit cette phrase qui fit siffler quelques oreilles du cote de Manchester City, meilleure attaque du Championnat avec 57 buts, les Spurs en ayant marque 18 de moins. C'etait sans doute l'un des objectifs de ce specialiste de la (gue)guerre psychologique qu'est 1'Ecossais. Louer les Spurs, c'etait faire descendre les Citizens d'un cran au classement de l'esthetique.
Mais ce n'etait pas un mensonge pour autant. Ce Tottenham seduit, comme 1'avaient fait beaucoup de ses incarnations precedentes, dont celle, eblouissante, de 1960-61 qui remporta le premier double Cup Championnatdu XXe siecle et fut la premiere formation britannique a conquerir un trophee europeen, la Coupe des Coupes de 1963. La version Ardiles-Ricardo Villa des annees 80 vaJait elle aussi le coup d'oeil, tout comme 1'ecrin dans lequel brilla le joyau Gascoigne a la fin de cette decennie, avant qu'il se perde dans 1'alcool et les mauvaises frequentations. Aucun autre club anglais ne venere a ce point le beautiful game, au point que le bouillant public de White Hart Lane prefere, encore maintenant, voir ses cavaliers partir à l'assaut sabre au clair et concéder une glorieuse défaite plutôt que de gagner en se recroquevillant sur leur but. Une affaire d'identité, que voulez-vous. La différence est que, cette fois, Tottenham peut encore se rêver dans la peau d'un champion. Après une entame délicate de Championnat (1-5 à domicile face à Manchester City), les Spurs n'ont perdu qu'une seule de leurs dix-neuf dernières rencontres (à Stoke, 2-1).
Voilà bientôt vingt-deux ans qu'ils n'ont pas fini dans les trois premiers du classement, et seize qu'ils finissent la saison à la traîne d'Arsenal, ce qui n'est pas un détail sur Seven Sisters Road. Les Gunners s'accrochent, avec des hauts et des bas, mais sans plaire comme ils le faisaient encore dans les moments difficiles l'an dernier. Les Spurs, eux, gèrent mieux leurs flottements - jusqu'à présent - et, surtout, ont repris le manteau du beau jeu à leurs voisins. Ajoutez à cela l'avantage de n'avoir aucune compétition européenne à disputer, au contraire de leurs rivaux, et vous comprendrez pourquoi, après tant d'aubes prometteuses qui ont vite viré au gris, on se prend à espérer qu'il fasse soleil à White Hart Lane en mai prochain. L'Europe se souvient évidemment du Tottenham flamboyant qui avait mis à mal les deux grands clubs milanais en Cl en 2010-11. Or, le cru 2011-12 lui est supérieur, sans avoir rien changé à son dispositif ou sans qu'on ait tempéré ses instincts offensifs. C'est d'abord qu'aucun autre club anglais n'a maîtrisé un marché des transferts estival pourtant agité aussi habilement que l'ont fait les Spurs. Tout d'abord en recrutant le footballeur de l'année Scott Parker, qui justifie cette distinction à chaque sortie sous son nouveau maillot, et en obtenant de Manchester City le prêt d'un Emmanuel Adebayor totalement revigoré par son retour à Londres, mais à qui, hélas pour Tottenham, il sera interdit de jouer contre « son » club ce dimanche.
Le plus important fut cependant le refus du président du club, Daniel Lévy, de céder Luka Modric à Chelsea, alors que les Blues offraient plus de 45 M€ et que le meneur de jeu croate désirait lui-même s'en aller. Que Modric ait su ravaler sa rancœur pour être aujourd'hui, avec David Silva et Robin van Persie, le candidat le plus sérieux à la succession de Parker au palmarès de la FWA en dit long sur le professionnalisme du joueur, mais aussi sur l'harmonie qui règne au sein du groupe de Redknapp. Ce que les habitués du centre d'entraînement de Luxborough Lane ne perdent pas une occasion de souligner. Cette harmonie découle en grande partie des méthodes de Redknapp, un «laisser-faire» apparent qui accorde une grande liberté aux joueurs, tant pendant la préparation des matches que pendant ceux-ci. Redknapp, c'est l'anti-Mancini. Pas de doubles séances, d'interminables décortiquages vidéo ou sur tableau noir. Tout juste une causerie tactique de trente minutes la veille des matches. Les entraînements, dont Redknapp laisse la charge à ses assistants, Joe Jordan et Kevin Bond, consistent en un travail physique léger, suivi d'exercices de technique individuelle, et se concluent avec des oppositions à cinq, six ou onze avec, en option, des séances de tirs sur lesquelles veillent deux anciennes gâchettes du club, Clive Allen et Les Ferdinand. Rien de sorcier, donc. Si ce n'est que Redknapp trompe son monde en affirmant qu'il laisse la théorie aux autres et se contente d'éveiller la joie de jouer qui dort en chaque footballeur.
« Arry », ce cachottier, aime se faire passer pour le brave type un peu simplet qui compte encore en shillings et demi-couronnes, alors qu'il a bien mis en place un système qui, s'il n'a rien de révolutionnaire, n'a rien de vieux jeu non plus: un 4-4-1-1 avec un milieu composé de deux authentiques ailiers, Gareth Baie et Aaron Lennon (dignes héritiers de Dave McKay et de Cliff Jones, les flèches de Bill Nicholson en 1961), une sentinelle, Scott Parker, et un numéro 10, Luka Modric, authentique star sous-médiatisée que son petit gabarit et son tempérament d'artiste n'empêchent pas de mettre le bleu de chauffe, voire la semelle. Rafaël van der Vaart, le neuf et demi, est libre d'aller où il veut, laissant le seul Adebayor en pointe. Ajoutez à cela deux arrières latéraux qui adorent se projeter vers l'avant, Benoît Assou-Ekotto et Kyle Walker, une des révélations de la saison, et vous avez, et pas seulement sur le papier, une équipe dont le potentiel, en termes de créativité, est supérieur à celui de toute les équipes de Premier League, Manchester City compris. Redknapp se perçoit lui-même comme un « libérateur >*, un homme pour qui le football est d'abord une affaire de plaisir. Peu de joueurs résistent à pareil discours. Et quand ils sont de cette qualité, les résultats suivent, naturellement. Oui, Tottenham ferait un beau champion. Et Tottenham en a les moyens. Demeure un facteur dont les médias britanniques, très gênés, se sont à peine fait l'écho, mais qui pourrait avoir des conséquences sur le parcours des Spurs lundi prochain s'ouvrira le procès pour fraude fiscale de Harry Redknapp et de son ancien patron de Portsmouth Milan Mandaric. On voit mal comment, quel que soit le verdict, ce procès ne pourra pas avoir un effet déstabilisateur sur le club. Or, les Spurs entameront à partir du 6 février, alors que l'audience sera encore en cours, une série de quatre matches qui décideront de leur saison : déplacement à Liverpool, réception de Newcastle, derby contre Arsenal à l'Emirates, accueil de Manchester United. Que les Spurs aient encore un vrai coup à jouer à l'approche du printemps suffira, pour le moment, à leurs supporters.
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